Les deux bêtes. Apocalypse 13

La chapitre 13 de l’Apocalypse présente la chute de deux sbires du Dragon dont la chute est décrite au chapitre 20.

Introduction

Le chapitre 12 a présenté, sous les traits du Dragon, le principal ennemi, invisible, du peuple de Dieu ; le chapitre 13 dépeint ses deux acolytes, agents de son hostilité, sous la forme de deux bêtes monstrueuses. Si le Dragon est d’ores et déjà vaincu, il lui reste néanmoins du temps pour agir par l’intermédiaire de la première bête qui monte de la mer et qui persécute le peuple de Dieu et par la deuxième qui monte de la terre et qui trompe et séduit le monde entier. Ce chapitre a servi de tremplin à maintes spéculations sur la philosophie de l’histoire.

Origine du motif

Le motif de ces deux bêtes remonte aux légendes juives (inspirées notamment par Job 40–41) autour du Léviathan, monstre femelle, et de Béhémoth, monstre mâle, et il associe toute une série de traits repris du prophète Daniel. Des quatre bêtes de Daniel 7, l’auteur de l’Apocalypse recompose une bête hybride ; les quatre bêtes sont fondues en une seule figure. On n’a pas manqué de voir dans ce trio satanique, composé du Dragon et deux agents de son activité, une contrefaçon de la Trinité. Notons aussi que le chapitre 13 est composé de deux parties qui se terminent chacune par une scène d’adoration : la première au verset 8 et la seconde suggérée au verset 15.

Lecture du texte

Ce qui vient de la mer, pour les habitants de l’Asie mineure, ce sont les armées romaines et les représentants du gouvernement de Rome. Les sept têtes et les dix cornes expriment symboliquement la plénitude du pouvoir oppressif. La première ressemble au Dragon, sauf pour ce qui est des diadèmes qui couronnent les cornes et non les têtes. La corne symbolise la force et c’est cette force brute qui est mise en avant. La bête incarne une violence brutale et bestiale, à l’image de ces bêtes sauvages qui attaquent leurs proies, les déchirent et les dévorent. A travers tout le Nouveau Testament émerge cette pensée qui pressent une explosion du pouvoir du mal et un déferlement de violence à la fin des temps. Cette bête reçoit et accepte un pouvoir politique étendu, contrairement au Christ qui l’a refusé en tant que tentation satanique (Luc 4,1-13). La bête endosse le pouvoir politique et le Dragon reçoit ainsi l’adoration de la terre entière. Tout ce qui est dit de cette première bête, comme tout ce qui sera dit de la seconde, porte les traits d’une puissance opposée à Dieu (le ou les noms de blasphème) et correspond à l’inversion blasphématoire de la figure du Christ. Cela se remarque particulièrement dans la mention du v.3, touchant l’immolation de l’une des têtes : l’une des têtes porte les traces d’une grave blessure, mortelle, qui a pourtant cicatrisé.

La figure de Néron

La caricature du Christ est manifeste, mais aussi l’allusion à un événement qui a traumatisé tout l’empire romain et suscité une série de légendes mêlées d’attentes et de craintes autour de la figure de l’empereur Néron. Néron règne de 54 à 68, mais le Sénat le déclare ennemi public et Néron se suicide. Très peu de personnes sont témoins de ses funérailles. Néron est aussi populaire en Orient qu’il est méprisé en Occident et sa mort occasionne de grands troubles politiques. Cela suscite deux types de légendes : la première est dite Nero redux, c’est-à-dire Néron revenant, elle se fonde sur le refus de la rumeur de la mort de l’empereur ; la deuxième est dite Nero redivivus, c’est-à-dire Néron vivant de nouveau, et elle exprime l’espérance d’un retour à la vie de l’empereur qui, avec ses anciens alliés parthes, reprend le pouvoir en tirant vengeance de ses ennemis. On connaît dans l’histoire du premier siècle des imposteurs qui se sont réclamés de Néron et l’empereur Domitien a été considéré comme un nouveau Néron par des écrivains romains, notamment.

Une référence à l’Exode

« Qui est semblable la bête ?» La parodie de l’acclamation d’Exode 15,11 est manifeste. Derrière les prétentions à un pouvoir hégémonique et totalitaire de l’empire romain se trouve le Dragon déchu, mais encore puissant. Le verset 7, avec la mention « il lui fut donné » rappelle que la situation est sous le contrôle divin et que la période de guerre contre les saints est strictement limitée. La bête atteint le summum du pouvoir sur l’ensemble de la terre et obtient la soumission de ceux qui n’appartiennent pas au peuple de Dieu, qui n’y sont pas prédestinés ; ceux qui ont choisi le camp du peuple saint sont aussi ceux qui acceptent d’en payer le coût et ils savent que leur chemin conduit inéluctablement à une confrontation avec la bête. C’est, malgré l’idée de la prédestination qui se fait jour dans ce passage, l’heure du choix décisif. Il s’agit de bien comprendre ce qui est en train de se jouer, à savoir l’antagonisme de deux pouvoirs spirituels.

La violence, puis la ruse

Si la première bête agit par la violence, la seconde procède par ruse et séduction : dans les autres passages de l’Apocalypse où elle apparaît, elle se réfère au faux-prophète. Cette seconde bête, d’apparence inoffensive, ressemble, par ses cornes à peine esquissées, à un agneau ; elle n’en est que plus dangereuse. Elle s’apparente à une puissance d’ordre intellectuel ou religieux et rappelle ces paroles de Jésus sur les « loups ravisseurs » qui trompent en prenant les allures de brebis (Matthieu 7,15).Elle est l’agent de propagande de la première bête et organise son culte. Comment ne pas penser au culte impérial qui n’est pas imposé d’en haut au 1er siècle, mais qui est organisé par les autorités provinciales pour exprimer leur loyauté envers l’empereur et pour chercher à obtenir de lui des faveurs particulières pour la cité. Lorsqu’en 3 après Jésus-Christ, à l’occasion du maintien de la Pax Romana (la « Paix romaine ») on donne à Auguste le titre de Dominus (Seigneur, Maître), il le refuse ; mais il tolère que son nom devienne l’objet d’une vénération religieuse, au côté de la déesse Roma (Rome), et tout d’abord précisément en Asie mineure. Cette sublimation religieuse du pouvoir politique de Rome est un trait de génie, qui permet une forme d’unification spirituelle de ce vaste empire, ce qui n’aurait jamais été possible du fait de ses innombrables mélanges éthniques et religieux.

Les chrétiens auraient pu vivre en bons rapports avec l’empire romain. Cet état est un modèle d’organisation politique et de tolérance. Mais certains chrétiens n’acceptent pas que le souverain politique revendique une religion politique, une sorte de monothéisme politique ; le conflit est donc inévitable. Le culte impérial devient un test de loyauté envers l’Etat : qui refuse de s’y soumettre se met au ban de l’Empire. En Orient, la figure royale est identifiée à un fils de Dieu, mais en Occident, Néron est unanimement considéré comme un monstre à la fin du I er siècle : le roi, et donc l’empereur, exerce ainsi fascination et répulsion.

Une référence au Deutéronome

Notons qu’à partir du v.12, tous les temps des verbes sont au présent : c’est maintenant le temps où les agents de propagande de la première Bête et donc du Dragon s’activent pleinement. L’auteur s’attaque à tout le système qui vise à sacraliser le pouvoir politique et à en faire un régime totalitaire, mais ce système trouve des complicités au sein même de l’Eglise avec une série de faux docteurs, tels qu’on les trouve énumérés au chapitre 2, dans la lettre à l’Eglise de Pergame et de Thyatire. La seconde bête n’hésite pas à faire usage de stratagèmes ou de mises en scène susceptibles d’impressionner le peuple, ce qui renvoie à des textes comme le Deutéronome qui prévient contre les signes extraordinaires destinés à pousser le peuple à se tourner vers les faux dieux (13,2-5) ; les faux messies produisent également des signes selon Marc 13,22.

Une référence à Daniel

La mention de l’image au v.14, qu’on peut traduire par statue, rappelle la statue que Nabuchodonosor a fait dresser selon le troisième chapitre de Daniel, ainsi que la multiplicité de statue et de bustes représentant l’empereur qui circulent dans l’empire. Dans de nombreuses circonstances, il est demandé aux citoyens de manifester leur loyauté et leur allégeance au pouvoir impérial en offrant de l’encens ou des libations de vins à l’image de l’empereur. Les statues des sanctuaires sont parfois animées ou dotées de paroles par une série de procédés mécaniques ou ressortissant à la ventriloquie ; la statue qui parle délivre des oracles. Les rituels religieux se plaisent à créer des effets spéciaux.

Conclusion

 Les chrétiens cèderont-ils à l’obligation sociale de sacrifier au culte de l’empereur ? L’enjeu est de taille et les conséquences d’un refus peuvent être fatales. Le régime veut tout contrôler de la vie de ses sujets : ceux qui s’opposent à la manière de penser de ce monde (et qui en refusent le signe d’appartenance) s’en trouvent dangereusement marginalisés. L’Apocalypse s’attaque à la démesure d’un régime devenu totalitaire et insuffle aux chrétiens le courage d’une nécessaire résistance.

Sous l’apparence d’une énigme (le fameux nombre 666), il s’agit bien d’une réalité historique, « un chiffre d’homme », dans laquelle on reconnaît la politique du culte impérial. Le nombre 6 est le nombre de la créature (qui apparaît précisément au sixième jour), sans le sceau de la bénédiction divine, selon la présentation du livre de la Genèse. La bête ne fait que multiplier des tentatives humaines d’atteindre à la perfection divine, elle manque la cible et ne produit que chaos, mort et contrefaçon de la plénitude.

3 thoughts on “Les deux bêtes. Apocalypse 13

  1. Répondre
    Jacques josin - 21 juillet 2024

    Bonsoir je vous féliciter pour ce grand travail que vous effectuez à travers le monde pour apporter la lumière sur les symbolistes de l’apocalypse.
    J’aimerais avoir un document détaillé sur le livre de la réve

  2. Répondre
    Jacques josin - 21 juillet 2024

    D’or et déjà je vous remercie grandement que Dieu vous bénisse abondamment

    1. Répondre
      Moukala - 1 octobre 2024

      Bonsoir ! , je vous félicite et loue votre travail

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