A l’ouverture du 5ème sceau, la vision de l’auteur du livre de l’Apocalypse se focalise sur un autel (Ap. 6,9). La présence de cet élément, bien connu de l’architecture religieuse de l’époque, fait référence à davantage qu’un simple bâtiment cultuel. L’autel est ici le symbole d’un système religieux lié au Temple de Jérusalem. Il s’agit du système sacrificiel qui constitue l’élément principal de l’univers spirituel dans lequel baignent les juifs et les chrétiens au moment où l’Apocalypse est écrit.
De quoi s’agit-il ?
Un sacrifice est un rite qui met en scène, à l’aide d’actions symboliques et codifiées, la relation du croyant (et de sa communauté) avec Dieu. Ces actions comprennent un élément central qui est le fait d’offrir quelque chose à la divinité. Le sacrifice est aussi un rite performatif. C’est-à-dire un acte qui produit des effets ou tout au moins dont le croyant attend des effets.
Concrètement, un élément animal ou végétal spécialement choisi à cet effet est apporté par le croyant en un lieu dédié. Là il sera pris en charge par une personne reconnue pour cela (un prêtre) et symboliquement offert à Dieu. Il s’agit donc d’un rite d’offrande. De part le fait que l’on peut aussi offrir des végétaux – c’est le cas d’Abel par exemple dans le livre de la Genèse – le sacrifice dans la Bible n’est pas forcément un rite sanglant.
Deux types de sacrifices
On peut distinguer deux types principaux de sacrifice:
- le sacrifice de réparation pour restaurer une relation abimée
- le sacrifice de communion pour rendre grâce pour la relation
Mais bien des rites sacrificiels comprennent les deux dimensions. Rares sont cependant les sacrifices dans lesquels l’offrande est entièrement consacrée à Dieu. Seul le sacrifice couramment appelé « holocauste » prévoit que l’offrande soit entièrement consacrée à Dieu.
En règle général, l’offrande est divisée en 3 parts. L’une dédiée à Dieu est brulée sur l’autel (qui a déjà servi de lieu pour la mise à mort dans le cas d’un animal offert), la deuxième est remise au prêtre comme rétribution, la dernière est remise au croyant.
Le sacrifice comme repas partagé
Ce dernier la partage lors d’un repas qui suit immédiatement le sacrifice et qui en fait pleinement parti. Un sacrifice est donc tout autant une offrande à Dieu qu’une activité conviviale. L’aboutissement usuel d’un sacrifice est donc un repas dont Dieu est le principal convive. La célébration de la Ste-Cène (ou de l’Eucharistie) se situe donc dans une certaine continuité avec le sacrifice vétérotestamentaire.
Le sacrifice est donc avant tout une offrande. C’est-à-dire un don de quelque chose qui est à soi et que l’on consacre à Dieu. Il s’agit donc une manifestation très concrète de l’engagement de la personne du croyant dans la relation avec Dieu.
D’ailleurs le terme hébreu pour désigner un sacrifice est construit sur un verbe qui signifie: apporter / approcher. Cette étymologie est toute différente de celle du mot sacrifice qui provient du latin signifiant: rendre sacré. En effet, le fait de rendre sacré suppose une distance entre le croyant et son dieu, alors que le système sacrificiel biblique est là pour rendre possible le fait de s’approcher de Dieu à travers l’engagement de la personne du croyant.
Pour en savoir plus sur le sacrifice dans l’Ancien Testament, vous pouvez lire l‘article d’Alfred Marx, professeur d’Ancien Testament à Strasbourg.
Les critiques du système sacrificiel
Le système sacrificiel n’est pourtant pas exempt de critiques. Celles-ci s’exprime dans l’Ancien Testament déjà. Ce sont particulièrement les propos des prophètes qui vont porter cette critique. Cette dernière porte essentiellement sur la routinisation des sacrifices qui fonctionnent comme un oreiller de paresse qui dispense le croyant de pratiquer la justice, de vivre selon une éthique biblique. Cela peut même aller jusqu’à enfermer Dieu dans une relation donnant / donnant. Le sacrifice peut alors être compris comme un système qui pourrait permettre au croyant de contraindre Dieu à agir selon le sens que souhaite le croyant.
Cette critique du système sacrificiel est très présente dans le judaïsme à l’époque de Jésus. Ce dernier, dans la lignée d’un Jean Baptiste, est porteur de beaucoup de ces critiques. Il promeut une relation à Dieu en dehors de ce système. Cette relation est basée sur l’amour concret du prochain et la relation au Christ.
Une matrice pour interpréter la mort du Christ
Mais le système sacrificiel est aussi une des matrices dans laquelle les premiers chrétiens vont puiser pour interpréter la mort scandaleuse de Jésus sur la croix. Celle-ci est comprise comme une offrande qui permet à tout croyant de restaurer la communion avec Dieu. Mais, dans une inversion du système habituel, c’est Dieu qui ouvre la restauration du lien.
Du coup, le sacrifice de Jésus rend le système sacrificiel obsolète (Heb 9,23) en restaurant de manière définitive le lien entre Dieu et l’humain. Même si le lien est rompu par l’humain, Dieu maintient le lien potentiellement ouvert et demeure accessible à l’humain.